Henri Roger, multi-intrumentiste (ici pianiste et guitariste) se définit quant à lui comme un « autodidacte passionné par le dessin mélodique, la phrase, l’harmonie et le rythme » ; ce compositeur improvisateur, jamais en mal d’une idée nouvelle ou d’une association bigarrée, vit depuis belle lurette la position d’avant-garde comme une nécessité existentielle. Un duo prometteur sur le papier et qui ne déçoit nullement ; au contraire, il ouvre des pistes escarpées pour mieux titiller notre imaginaire.
Pas si facile de parler de Remedios la Belle, après tout ! C’est un album qu’on écoute pour lui-même ; on le qualifiera volontiers d’exigeant, voire d’exclusif, parce qu’il s’accommode mal de toute autre présence que la sienne ou d’une activité parasite. On fait le vide autour de soi, on l’écoute, un point c’est tout. Et on se laisse envahir. C’est un petit monde à lui seul, qui fait une très large place (toute la place ?) à l’improvisation de deux funambules dont le sens de l’écoute réciproque est poussé à son maximum. La double combinaison piano-batterie ou guitare-batterie n’est jamais prise en flagrant délit de bavardage stérile : le dialogue, toujours animé, n’est jamais contrarié par la domination d’une voix sur l’autre. C’est une conversation entre frères, une belle histoire d’atomes crochus, une de plus… Avec, ici ou là, un court monologue quand la situation l’exige. Mais toujours quelque chose à raconter. La multiplication des couleurs est réjouissante, on s’étonne de découvrir à quel point les deux musiciens sont ici, à chaque instant, de véritables peintres sonores, procédant par multiplication de petites touches qui finissent par dessiner une fresque chamarrée.
Tocanne et Roger cultivent et chérissent l’idée de liberté (voire de libération) musicale, dont une des armes est bien l’improvisation ; mais ils n’en perdent pas pour autant de vue une autre, tout aussi essentielle, celle du chant. Car si ce disque est bien celui d’une création spontanée, imprévisible et affranchie des conformismes, la musique qu’il délivre est constamment imprégnée d’essence mélodique. Une performance pas si courante et qui est la marque d’une belle réussite, celle d’un lyrisme contagieux. Si le mot n’était pas usé par notre époque trop souvent en panne de définitions originales, on serait tenté de dire que Remedios la Belle a quelque chose de solaire. Parce qu’il rayonne d’une belle complicité et d’un évident bonheur d’être là, au bon moment. Le privilège de l’instant, pour les musiciens comme pour nous tous.
Publié en un nombre restreint d’exemplaires, Remedios la Belle se présente dans un bel étui cartonné et sérigraphié. Sa musique libertaire vous touchera, c’est sûr ; mais vous pourrez aussi la toucher du doigt, ce qui est encore mieux. Laissez-vous séduire.