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    Maître Chronique, février 2015.

    Suite (et certainement pas fin) du feuilleton consacré à Henri Roger, musicien multicartes et à sa manière tête pensante d’une école informelle de l’improvisation guidée par un besoin de rencontres et de plaisirs partagés, qui a trouvé refuge depuis quelque temps sur le label Facing You / IMR . Cette fois, le pianiste guitariste mais aussi machiniste livre le fruit d’une nouvelle expérience menée avec celui qui pourrait être son… petit-fils ! Âgé de 15 ans, Augustin Brousseloux semble n’avoir peur de rien. Avec une belle assurance, ce guitariste à peine sorti de l’enfance s’est déjà livré à l’exercice de l’improvisation à de nombreuses reprises, en solo, comme en témoignent ses Miniatures For Electric Guitar en deux volumes , en duo, comme l’illustrent Tone On Tone et Dark Ding Dong, ses enregistrements en compagnie de Noël Akchoté (lui-même comparse d’Henri Roger pour un splendide Siderrances dont il a récemment été question ici) ; signalons également, peut-être parce qu’il est l’un des plus passionnants, Something Is Coming, signé Tomur, une formation comprenant, outre Brousseloux et Akchoté, Michael Parque (un camarade Citoyen) à la basse et Baptise Boiron au saxophone. Mais il se trouve aussi que ce Rémois né en 1999 est aussi, comme on peut s’en douter en raison de son âge, féru des technologies contemporaines et, à l’instar de beaucoup d’autres, adepte des réseaux sociaux. Et c’est par l’un d’entre eux, probablement le plus connu et souvent pour de mauvaises raisons, mais dont certains s’échinent parfois à tirer le meilleur, qu’il a pris contact avec Henri Roger pour lui proposer un défi 2.0 (peut-être en est-on même parvenu à la version 3.0, depuis le temps…) : enregistrer un disque à partir d’une série d’improvisations à la guitare qui deviendraient une sorte de matière première à modeler. On comprend très vite que le sieur Roger, jamais à court d’imagination, s’est fait un immense plaisir d’accepter d’entrer dans cette danse sonore. Qui a pris vie, et de belle manière, comme le prouve ce disque au titre imprononçable.

    Au départ, j’ai pensé qu’Henri Roger et Augustin Brousseloux avaient été pris d’un coup de fatigue et qu’ils avaient dû s’effondrer sur un canapé devant un poste de télévision pour regarder l’émission « Des Chiffres et des Lettres ». Pensez-donc ! Leur disque a pour nom Shlouwarpch !, (le point d’exclamation en faisant partie). On dirait un tirage du « Mot le plus long »… Outre mon incapacité à trouver un mot de plus de sept lettres (« Aurochs »), il m’a fallu me rendre à l’évidence. Le formol sur écran n’étant pas le genre de leur maison musicale, l’explication devait se trouver ailleurs. En réalité, et là je me permets de citer les musiciens eux-mêmes : « Shlouwarpch ! est une onomatopée qui donne une bonne idée du parcours sonore surprise que nous proposons ». J’ignore si, une fois posée cette déclaration en guise de définition, il est possible d’imaginer le contenu qui va surgir, mais une chose est sûre : elle fournit une indication précieuse sur le caractère sui generis de l’entreprise menée par nos deux baroudeurs. Tout récemment, un ami me faisait remarquer qu’il n’était pas certain que ce disque fût beau, au sens premier du terme. En réalité, je lui donne volontiers raison parce que ses 57 minutes n’ont certainement pas pour ambition de caresser dans le sens du poil. Au contraire, Shlouwarpch ! est un disque qui gratouille, qui titille, qui vous pousse avec jubilation dans vos retranchements. Si vous cherchez le dernier tube à entonner à la fin d’un repas bien arrosé, passez votre chemin, vous n’êtes pas entré par la bonne porte. Si en revanche, vous êtes de celles ou ceux qui n’aiment rien tant que d’entrouvrir la dite porte en vous demandant quelle surprise vous sera réservée, et que vous n’êtes pas inquiets en avançant s’il le faut dans la pénombre, les bras tendus en avant, alors oui, vous devriez prêter, que dis-je, confier vos deux oreilles à ce duo étonnant.

    Les propositions initiales d’Augustin Brousseloux peuvent appartenir au registre de la musique minimaliste ; s’il le faut, elles engendreront des climats presque glacés, à la façon d’une ambient music d’où le rythme est absent et les mélodies à peine suggérées ; ailleurs, elles seront de nature bruitiste et rageusement métalliques, pour ne pas dire violentes ; et pourquoi pas vacillantes, sous l’effet d’une ivresse contrôlée, exprimée par une guitare désaccordée (une detuned guitar que ne renierait pas Fred Frith). Un certain nombre de nappes sonores, qui ne sont pas sans évoquer les chemins harassants empruntés depuis de longues années par un explorateur sans concession tel que Richard Pinhas (qui a récemment joué avec Noël Akchoté), diffusent ici ou là une noirceur à coloration post-industrielle qui témoigne de l’ancrage de cette musique dans la réalité brutale de notre quotidien. D’autres échanges évoqueront une guérilla urbaine, habitée de snipers électriques. Vous l’aurez compris : Shlouwarpch ! n’est pas un disque d’ambiance clinique, au sens où il ne diffuse pas de façon condescendante une succession de climats vaporeux, mais parvient au contraire à imposer avec autorité la force abrasive de sa musique, pour peu bien sûr qu’on ne l’écoute pas d’une oreille distraite. Et c’est là que toute la science (mais aussi l’humour distancié) d’Henri Roger entre en scène. Dans sa mallette de sorcier ingénieux, une boîte à outils bien fournie grâce à laquelle il va endosser avec le plus grand bonheur – on entend à chaque instant le plaisir qui est le sien – le rôle de perturbateur météorologique. Faites-lui confiance pour provoquer une bonne averse même si le ciel vous paraît limpide. Guettez avec la plus grande attention tous les fourmillements, les menus détails sonores des instruments qu’il va mettre au service d’une collaboration qui sera tout sauf innocente. Guitare, piano, percussions, mais aussi et c’est moins banal : des applications pour iPhone (iMaschine) ou iPad (Nave), une sirène de bateau, une voix extirpée d’une publicité et autres effets pas toujours identifiés… Tout est prétexte à enluminures mystérieuses et volontiers taquines, qui sortent par une fenêtre pour rentrer aussitôt par une autre, et sont autant de démangeaisons bariolées dont on ne tarde pas à découvrir le pouvoir addictif. Il se passe toujours quelque chose en compagnie de ce duo né tout autant du hasard des échanges virtuels que de la nécessité d’aller voir ailleurs si nous y sommes.

    Voilà qui ne fait aucun doute : nous y sommes bien. Shlouwarpch ! est plus qu’un disque de musiques improvisées par l’un, détournées par les briganderies machiniques de l’autre. Il est un acte de contrebande musicale, gourmand à souhait, qui a donné naissance à un jeu sonore, parfois inconfortable, mais toujours débordant de vie et d’inattendu.

    Un ludisque, en quelque sorte, qui vaut bien un néologisme en guise de salut amical !

    Maître Chronique

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  • DIGITAL ART : : "Possibles partitions". "PiXXXLS" Créations Abstract Contemporain Numérique
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